Petite introduction à l’éthique de la donnée

De quoi s’agit-il et quels en sont les principes fondamentaux ? — Ethique de la donnée 1/3

8 min readOct 30, 2020

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L’actualité regorge de débats et polémiques relatives à la Data, très souvent à propos de l’utilisation des données personnelles, ce sujet étant devenu un marronnier des médias. Néanmoins, il peut arriver que la question déborde sur des domaines plus spécifiques mais plus sensibles encore, comme celui de la Santé : le récent épisode de la rétractation d’un article du Lancet, du fait de sérieux doutes sur l’origine et la fiabilité des données utilisées pour l’étude, démontre bien les enjeux éthiques que peut soulever l’utilisation de données.

Mais finalement que sait-on de l’éthique des données ? Pramana vous propose une série d’articles pour parvenir à y voir plus clair dans ce champ de réflexion philosophique, champ aux ramifications nombreuses et ancrées dans notre vie quotidienne. Ces articles sont tirés du livre blanc à paraitre sur le sujet de l’éthique de la donnée, livre blanc rédigé par Pramana sur la base des travaux d’un groupe de travail organisé et dirigé lui aussi par Pramana dans le cadre de la chaire ESSEC «Stratégie & Gouvernance de l’Information». Si vous souhaitez recevoir un exemplaire de cet ouvrage, nous vous invitons à nous le signaler via ce formulaire.

Ce premier article s’attachera à définir les notions clés de ce sujet complexe.

L’époque actuelle voit s’affronter deux conceptions diamétralement opposées quant au Data Management : certains de ses contempteurs considérant cette discipline comme étant surcotée et propice aux erreurs et aux manipulations néfastes, tandis qu’une frange de ses partisans, les plus zélés et convaincus dirons-nous, prêtera à cette activités des capacités de quasi-divination.

Or, comme le disait Talleyrand, « tout ce qui est excessif est insignifiant », la vérité sur ce champ scientifique se trouvant souvent à mi-chemin de ces deux opinions contraires. De fait, la gestion et la gouvernance des données comportent de nombreux atouts et intérêts, ce qui ne doit pas occulter les débats et les dangers que l’utilisation de données, qu’elles soient personnelles ou non, peut engendrer. Ce qui met en exergue la nécessité d’une éthique de la donnée qui soit comprise et appliquée par tous, des gouvernants aux entreprises sans oublier les citoyens. Pour ce faire, il est inévitable de définir les termes clés de ce sujet, exercice complexe et propice aux débats sémantiques. Ces définitions ne prétendent pas être parfaites, ni exhaustives, il se peut que certains lecteurs ne s’y retrouvent pas totalement.

Commençons facile : qu’est-ce qu’une donnée ?

S’agissant d’un terme connu et utilisé maintes fois par nombre de nos concitoyens, force est de constater que le mot « donnée » peut renvoyer à de nombreuses et diverses significations, suivant le contexte dans lequel il est utilisé. Prêtons-nous malgré tout à cet exercice de définition, en nous cantonnant toutefois au domaine de l’informatique au sens large.

Laissons la première proposition de définition au Larousse : selon ce référentiel, une donnée n’est autre qu’une « représentation conventionnelle d’une information en vue de son traitement informatique ». Cette définition parait malheureusement trop abstraite. Selon DAMA (Data Management Association), la donnée renvoie à une information qui a été traduite dans un format numérique, ceci n’excluant en rien les informations non digitalisées (informations sur papier par exemple) qui sont bien prises en compte dans le cadre de cette définition. Le fait est qu’aujourd’hui, grâce aux avancées de la technologie, il est possible de stocker un tel volume d’informations en format numérique, ce qui implique que nous désignons comme étant des données beaucoup de choses et d’éléments qui auparavant n’auraient pas été qualifiées de la sorte. Il peut s’agir ici de noms, d’adresses, de dates de naissances, de liste d’achats, de commentaires laissés sur un forum, de likes sur une page Facebook, etc.

Pour résumer, la donnée dans son acception informatique renvoie à la représentation d’une information dans un programme, au format numérique donc.

Avant d’aborder l’éthique de la donnée, qu’est-ce que l’Ethique ?

L’éthique, telle que nous souhaitons la considérer dans cet article, nous renvoie à un ensemble de valeurs, de comportements et de principes qui doivent servir de références et de balises pour guider la conduite d’un individu, d’un groupe ou d’une société. A la différence de la morale, l’éthique ne se cantonne pas à une liste de principes et de maximes infaillibles en tout temps et tous lieux, l’éthique propose d’entamer et de maintenir une réflexion logique et argumentée en vue du « bien-agir ». L’éthique se voit comme une réflexion en perpétuel mouvement, ponctuée d’itérations nombreuses pour favoriser sa potentielle remise en question ; par cette dynamique exigeante, l’éthique n’est jamais figée ni sclérosée. L’éthique offre ainsi une agilité appréciable, ce qui permet une adaptation plus aisée aux évolutions de l’environnement et des parties-prenantes.

Par essence, l’éthique n’est pas universelle, elle est fortement dépendante du contexte et de l’environnement où elle se développe. L’éthique est exigeante car elle exige de la société une prise en main de questions vitales pour son avenir, refusant de laisser les seules lois décider de ce qui est bon ou mauvais pour la communauté. L’éthique propose des principes et valeurs qui doivent être acceptés, assumés et défendus par les membres du groupe, quel qu’il soit. L’éthique n’est pas binaire, il n’y a pas une seule bonne réponse à toute question, il s’agit de trouver la meilleure parmi plusieurs.

C’est donc là la plus grande difficulté : choisir le « meilleur » positionnement éthique possible. Il y a toujours plusieurs choix possibles dans la réflexion éthique, c’est la raison pour laquelle on parle souvent de « dilemme éthique ». Les choix éthiques confrontent souvent les différentes théories éthiques existantes, théories qui peuvent entrer en contradiction selon les contextes. Dans l’éthique, il n’y a jamais de réponse absolue et adoptée par tous à l’unanimité : il n’y a que des choix préférables à d’autres, selon les situations. Par exemple, au sein d’une entreprise, un collaborateur peut être soumis à un dilemme entre son éthique personnelle et l’éthique adoptée et promue par son employeur : l’une et l’autre sont « bonnes » en elles-mêmes mais il doit choisir d’en suivre une seule, ceci en fonction du contexte, du moment, de l’opportunité, etc. Ici, point de loi universelle s’imposant à tous, seulement une réalité à prendre en compte et à laquelle s’adapter.

Le mouvement de perpétuelle remise en question des principes éthiques : force ou faiblesse ?

Cette absence de prise de position immuable et définitive peut être perçue comme une faiblesse, l’éthique étant perpétuellement mouvante et donc incertaine : face à cette remarque, il est possible d’adopter un point de vue plus optimiste et d’y déceler une force, à savoir la capacité de synthétiser en permanence les opinions, valeurs et comportements communs à une population donnée, à une époque donnée, dans des secteurs ou métiers donnés, etc. L’éthique est le reflet perpétuellement actualisé de l’environnement qui l’a faite naître : elle ne prétend pas incarner le dogme ou l’idéologie de l’ensemble des êtres composant l’humanité, elle se réfère à un moment et un contexte bien précis. Jusqu’à son prochain amendement. On peut voir dans cet état de perpétuelle remise en question une analogie vis-à-vis de la démarche scientifique : la Science ne dit jamais la Vérité, elle énonce le postulat le plus robuste et cohérent jusqu’à preuve du contraire.

Qu’est-ce alors que l’éthique des données ?

Constituant une subdivision de la discipline philosophique qu’est l’Ethique, l’éthique des données ou l’éthique de la donnée a pour objet d’étudier, encadrer et assainir toutes les actions et manipulations pouvant se rapporter aux data. Cette école de pensée, souhaitant disposer d’un prisme complet, considère la donnée sous toutes ses formes, prend en compte tous les stades d’exploitation des données, et entend aborder les externalités du data management dans l’ensemble des domaines d’études et non pas le seul domaine technique.

Il est important d’avoir conscience que les données à prendre en compte ne correspondent pas aux seules données à caractère personnel, l’éthique des données s’intéresse à toutes les données existantes.

L’éthique de la donnée a pour ambition de promouvoir des comportements, des bonnes pratiques et des valeurs adéquates avec une gestion saine et pérenne des données. Ce projet vertueux se fait toujours en fonction d’un environnement, d’un contexte et d’une temporalité donnés ; des normes éthiques ne pouvant s’appliquer indifféremment à des situations toujours différentes. L’exemple récent de la mise en place de l’application Stop Covid en France a mis en lumière les différences flagrantes qui apparaissent entre les pays quant à leur façon de considérer le traçage de populations pour des raisons sanitaires : alors que ce sujet a généré des polémiques et des débats houleux en Europe, force est de constater qu’il n’y a pas eu de telles controverses sur le continent asiatique par exemple, ce qui illustre qu’il n’y a pas une Data Ethics s’appliquant de façon indifférenciée à tous les contextes et environnements. Dans chaque situation, forcément unique, il s’agit donc bien d’une éthique des données ad hoc. Énoncer cela ne revient pas à avouer une incapacité à produire un raisonnement holistique : c’est bien parce que l’éthique des données doit être à même de proposer des valeurs et comportements adaptés à une infinité de situations différentes, qu’elle se doit justement de constituer et respecter une structure logique macroscopique plus générale. Cette colonne vertébrale stable et permanente garantit le maintien d’une cohérence et d’une continuité en dépit des ajustements à chaque contexte et à chaque environnement. De fait, l’éthique de la donnée ne sacrifie pas le global au local et vice-versa.

Dernier point d’importance, l’éthique de la donnée veille à ce que soit maintenu en permanence un équilibre entre protection et innovation : à quoi servirait une data policy foulant aux pieds les principes fondateurs d’une société dans lequel elle s’exprime ? De même, une gouvernance de la donnée trop stricte et conservatrice, en empêchant l’éclosion de toute initiative, condamnerait le champ intellectuel du data management à se scléroser et ainsi devenir stérile.

Le format de l’article ne permettant pas de détailler davantage un sujet pouvant être décliné sur des livres entiers, c’est ici que s’achève cette première étape de définition des concepts clés. Le prochain article abordera des exemples concrets et contemporains afin d’illustrer l’importance de l’éthique des données dans l’environnement digitalisé qui est le nôtre. Il sera notamment question transparence des algorithmes et de diversité. Restez à l’affut, il sortira bientôt !

Geoffroy Escard
Consultant Data
Pramana

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